Nadia Essalmi, la chevalière de la littérature pour tous

écrit par Par Bouchra Fadel09-07-2021

A cinquante ans, Nadia Essalmi est une boule d’énergie. Tour à tour sportive, écrivaine et militante pour les droits des femmes et des enfants, cette femme infatigable joint l’œuvre de l’esprit à l’action du terrain. Le dernier fait d’armes de cette superwoman est “Littératures itinérantes”, une initiative pour rapprocher le livre des catégories sociales souffrant d’exclusion, dont les détenus. La littérature l’a toujours passionnée. Depuis toute petite, Nadia Essalmi était plongée dans les livres. Enseignante puis écrivaine puis éditrice avant de présider l’Association “L’école pour tous” ainsi que l’Association “Littératures itinérantes”. “Nadia a fait du livre son métier, son monde et sa raison d’être”, nous dit M. Hassan Dabchy, conseiller à la Primature. “Nadia ne court pas après la gloire, elle n’y songe même pas, sa priorité est sa passion!”. Et de préciser: “Promouvoir le livre est une tâche difficile, vu que la lecture est le parent pauvre dans notre environnement socioculturel. Mais Nadia s’en sort bien, ses initiatives culturelles retentissent fortement…”. Une militante aux multiples casquettes Militante des droits des femmes et des droits de l’enfant sur les réseaux sociaux, Nadia Essalmi est aussi une ancienne championne du Maroc de gymnastique. La cinquantaine, le pas décidé, Nadia Essalmi est tout simplement infatigable! Si, dès l’enfance, Nadia Essalmi avait “la bougeotte” selon les propos de sa maman, son regard précis et son corps prêt à toute épreuve révèlent cette triple force dont la nature l’a dotée, une force à la fois physique, nerveuse et intellectuelle. “Sitôt levée, Nadia enchaîne les activités, elle saute, elle court. Elle me donnait le tournis, enfant et même adulte”, nous confie sa maman. “Les activités qu’elle peut entreprendre en très peu de temps sont impressionnantes. Elle ne laisse pas s’écouler une journée sans accomplir une action de la plus haute importance”. Driss El Yazami, président du Conseil de la Communauté marocaine résidant à l’étranger (CCME) indique avoir connu Nadia dans les couloirs du Salon international du livre de Casablanca, vers 2008/2009, “au milieu des livres, des auteurs et des lecteurs”. “Son milieu et sa vie. Et c’est ainsi que je la vois depuis”. “Amoureuse de ces univers jusqu’à l’entêtement. Pugnace. Déterminée, avec son caractère affirmé et entier. Généreuse aussi comme le montre sa dernière trouvaille: aller chez les détenus, avec les livres en offrande”, ajoute-t-il à BAB, en référence à l’opération “Littérature itinérante”, initiée par Mme Essalmi et dont la vocation est de rapprocher le livre du lecteur. Militante de la culture Derrière ses lunettes se cachent des yeux rieurs qui ne laissent personne indifférent. Elle sait adapter sa toilette aux convenances. Paraissant tantôt enjouée, tantôt décontractée et demeurant au fond attentionnée, Nadia est toujours “d’apparence chic”. “La militante de la culture” comme la surnomme l’auteure et professeur de littérature française Amina Achour est sur tous les fronts. “C’est une femme passionnée qui va jusqu’au bout de ses idées, de ses croyances et de ses rêves”. Grâce à sa détermination, le projet “Littératures Itinérantes” baptisé au début “La littérature s’invite sur le quai des créateurs”, qui n’était au début qu’un rêve, est désormais une réalité, poursuit-elle. Bien que très peu de moyens lui aient été alloués, ce projet s’est rapidement transformé en un grand évènement connu en deçà et au-delà des frontières du Royaume, dépassant même les attentes de sa marraine! “Quelle satisfaction pour moi d’assister à cet événement culturel, il est à l’image de son initiatrice, unique en son genre”, souligne avec fierté Sanae Ghouati, professeur de littérature française. “L’initiatrice de ce festival itinérant invite à chaque édition quarante écrivains du Maroc, du Maghreb, du Moyen Orient, de France et d’Afrique subsaharienne et d’ailleurs. Elle a pu réunir de grands noms aussi bien à Rabat, lors de la première édition, qu’à Casablanca ou Marrakech – l’on y relèvera entre autres Nancy Huston, Wassini Laarej, Rachid Boudjedra, Mahi Binebine, Abdelfattah Kilito, Mohamed Barrada, Abdelkader Chaoui, Racha Al Amir, Aicha Bassry, Latifa Labsir, Hassan Najmi, Bensalem Himmich, Yasmine Chami, Touria Hadraoui, Rachid Khaless, Driss Jaydan, Abdellah Baida, Mamoun Lahbabi, Ahmed Masaïa. L’édition prévue à Fès, dont le menu était également très consistant, n’a pu se réaliser pour cause de Covid-19”, nous précise Mme Ghouati. Battante, elle persévère, avec un rare professionnalisme dans tout ce qu’elle entreprend. “Ne baissant jamais les bras, Nadia Essalmi communique beaucoup. Elle utilise les réseaux sociaux pour communiquer ses idées”, indique Amina achour, mais quant à sa plume, “elle est à la fois autant fine et séduisante que coriace et téméraire quand il s’agit de combattre la médiocrité ou de refuser l’imposture avec lesquelles elle ne badine jamais! Elle a souvent un humour corrosif et des coups de gueule qu’elle partage sur les réseaux sociaux et où elle dénonce “l’insoutenable” dans les différents secteurs de la vie publique”, relève Sanae Ghouati. Militante contre l’injustice Nadia exprime la même colère contre l’injustice sociale, l’incivisme et l’inculture dans son roman “La révolte des rêves” (2018) préfacé par Fouad Laroui. Et l’auteure de préciser que la deuxième partie de cette œuvre est un recueil de “textes poétiques osés à l’effet de casser les nombreux tabous de notre société”. Nadia rejette la qualification de “féministe” rétorquant que” s’il y a bien une chose que je ne comprends toujours pas à l’heure actuelle, c’est ce besoin des femmes de toujours se comparer aux autres et surtout d’être dans une constante revendication. Revendiquer sa féminité, se battre pour exister, s’affirmer pour mieux s’estimer. Être une femme n’est pas un privilège spécial qui nous autorise à nous sentir supérieures aux hommes. Être femme c’est tout simplement…ne pas être un homme!”, tranche-t-elle tout simplement, tout solidement! Les droits de l’enfant entrent aussi dans sa ligne de mire. Ses engagements et son parcours peuvent paraître semblables à ceux d’autres militant-e-s, cependant, Nadia “ne se plie jamais devant les obstacles’’, dit-elle, nous invitant à lire ses publications sur le combat quotidien de son association “L’Ecole pour tous’’. L’idée-force, l’idée centrale étant aujourd’hui de rapprocher tous les enfants des livres et d’en faire les lecteurs de demain. Et cette vision à l’approche didactique forte permettrait de compenser bien des fractures sociales qu’il s’agisse d’en combattre les causes ou d’en limiter les conséquences induites (faible scolarisation de franges d’élèves économiquement fragilisées et plus exposées à la déperdition scolaire et sociale et à l’analphabétisme, tout comme à d’autres formes d’exclusion sociale, culturelle, citoyenne…). Une pionnière du livre jeunesse Cette ancienne gymnaste, championne du Maroc pendant cinq ans (entre 1969 et 1974), et ancienne membre de l’équipe nationale, garde de cette expérience une âme de battante et un goût pour les défis. Elle va plus loin dans son projet de lecture. En constatant un manque flagrant dans l’édition de ’’Littérature Jeunesse’’ au Maroc, Nadia Essalmi crée “Yomad”, la première maison d’édition marocaine à se spécialiser dans l’offre éditoriale pour cette catégorie spécifique de lecteurs au Maroc. “C’est le créneau que j’ai choisi. Je trouvais scandaleux qu’il n’y ait pas de livres pour enfants édités au Maroc, c’est ce qui m’a motivée à me lancer dans l’aventure”, nous explique-t-elle Et d’ajouter qu’aujourd’hui, “Yomad” peut “s’enorgueillir de la sortie de 30 ouvrages distribués un peu partout au Maroc et à l’étranger”. Ce n’est pas son seul mérite: Nadia Essalmi est la première éditrice à intéresser des écrivains marocains de renom, tels que Driss Chraïbi, Abdellatif Laâbi, Abdelhak Serhane, Zakia Daoud et Habib Mazini, à l’écriture pour les enfants et les jeunes. Le livre pour humaniser l’univers carcéral Encore une autre opération incroyablement généreuse qui n’est pas passée inaperçue: un don de près de 5.000 livres a été offert par l’association “Littératures Itinérantes’’ aux établissements pénitentiaires du Royaume, lors d’une cérémonie organisée à la prison centrale de Kénitra avec les détenus pour célébrer la Journée mondiale du livre et de l’auteur. Un café littéraire a été animé par l’écrivain Abdelkader Chaoui et retransmis dans plusieurs prisons du royaume via un webinaire. “Amener le livre en prison c’est amener la liberté”, prêche Nadia Essalmi interrogée sur cette expérience inédite. Nadia Essalmi, cette éditrice de “Jeunesse” qui a parcouru un si long chemin fait de défis honorables et de travail acharné, nécessitant énergie constante et conviction tenace, jouit d’un engagement sans faille et d’une implication continue sur les plans culturel et social qui imposent un respect et une considération à la hauteur des apports et des réalisations concrètes qu’elle a pu mettre en œuvre. C’est en reconnaissance de son immense œuvre qu’elle a été récompensée par l’ambassadrice de France au Maroc qui l’a gratifiée des “Insignes de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. En somme, c’est là une juste reconnaissance pour cette femme, au caractère bien trempé, volontaire et engagée, à concrétiser des rêves altruistes et solidaires à l’effet notamment de permettre de rapprocher les êtres, notamment les enfants, tout comme certaines catégories “d’exclus”, des livres. Bravo Nadia Essalmi! Et c’est là le témoignage d’une reconnaissance amplement méritée.