Après Salé, Casablanca et Marrakech, la quatrième édition des Littératures Itinérantes (Li) a élu domicile, le 1er octobre, à Fès avec la participation de 40 écrivains et écrivaines, d’une quinzaine de pays, qui ont rencontré le grand public à Jnan Sbil pour la dédicace de leurs ouvrages. Et ce après l’organisation de deux tables rondes, en arabe et en français, autour de la thématique «D’une culture à l’autre». Cet événement culturel prend de plus en plus de l’ampleur dans le paysage culturel marocain, vu le nombre en croissance continue qu’il draine à chacune de ses éditions. Selon Najat Vallaud-Belkacem, femme politique, ancienne ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche de France et marraine de cette manifestation qu’elle a découverte depuis ses premières éditions, ce festival s’est enrichi progressivement de la présence d’écrivains, de poètes de plusieurs pays. «J’ai beaucoup aimé ce festival qui consiste à amener la littérature au public et ne pas la laisser sous les stands comme le font, en général, les salons de livres que fréquentent plutôt les initiés. La question est comment peut-on attirer à la lecture des gens qui n’ont en pas forcément l’habitude ? La littérature pour les lecteurs est à la fois un moment de sortie de la solitude, d’évasion, elle est propice à l’imagination. Dans ce genre d’événements se discutent les affaires du monde, en quelque sorte. Donc, pour toutes ces raisons, la littérature a une vocation d’être partagée le plus largement possible. Ainsi, lorsque Nadia Essalmi, initiatrice des (Li), m’a proposé d’être la marraine, j’ai accepté avec grand plaisir en contribuant à amener quelques écrivains, et ce après avoir participé l’année précédente comme auteure», précise Najat Vallaud-Belkacem. De son côté, l’universitaire et écrivain Abdelfattaf Kilito, ayant déjà participé à cet événement, indique que ce festival est très important à plus d’une raison, puisqu’il permet aux écrivains de différents pays et continents de se rencontrer et d’échanger entre eux. «Ce qui peut même donner lieu à des projets futurs, par exemple des projets de la traduction par certaines maisons d’édition étrangères. Puis, c’est aussi une occasion pour avoir des échanges avec un grand nombre de lecteurs, dont nous apprenons leurs points d’intérêts», précise l’écrivain Kilito qui a soulevé le fait que la lecture en français est en baisse continue, avec la baisse du niveau de ses lecteurs, en comparaison à l’écriture en arabe qui est, selon lui, en avance et a beaucoup de lecteurs. Pour cette quatrième édition des Li, deux tables rondes ont pris place, durant toute la matinée du 1er octobre, avec comme thématique «D’une culture à l’autre» qui a fait l’objet d’un livre où, comme le souligne Nadia Essalmi, chaque auteur s’est exprimé selon sa vision, ses expériences, sa sensibilité. «Il est porteur d’espoir, d’amour et un exemple vivant d’humanisme, la preuve que qui que nous soyons…, nous pouvons écouter, échanger et avancer ensemble en érigeant, par la littérature et grâce au pouvoir des mots, des ponts». Ainsi, dans la première table ronde en arabe, modérée par Mohammed Saghir Janjar, directeur de la Fondation Al-Saoud, sont intervenus les écrivains Abdelfattah Kilito (Maroc), Zayneb Laouedj (Algérie), Najwan Darwich (Palestine) et Abdelaziz Baraka Sakin (Soudan). Ce dernier a soulevé, dans son intervention, ses multiples racines qui ont fait de lui un écrivain de plusieurs identités, puisqu’il écrit en arabe et en anglais, comme il a reçu le Prix de la littérature arabe de l’IMA, le Prix de la littérature africaine, le Prix de la littérature universelle (France). D’où sa conviction que la littérature appartient à l’auteur seul. «La littérature n’a ni couleur, ni pays, ni tribu», dit-il. L’écrivaine et poétesse algérienne Zayneb Laouedj a prolongé l’idée de «Baraka» en précisant que «la littérature demeure cette grande porte ouverte sur l’univers qui n’a pas de frontières visibles où ruissellent les richesses cumulées depuis des siècles. Elle est par excellence cette encyclopédie des peuples qui renferme poésie, arts, sagesse, coutumes… C’est le socle sur lequel se maintient et se consolide la mémoire de l’humanité». La deuxième table ronde, modérée par Catherine Fruchon-Toussaint, a fait réagir, sur la même thématique, les auteurs Fouad Laroui (Maroc), Véronique Tadjo (Côte d'Ivoire), Ivan Jablonka (France) et Christiane Taubira (Cayenne). Dans son intervention, la docteure honoris causa des trois universités Wisconsin-Milwaukee, Bruxelles et Genève, Christiane Taubira, a parlé des langues créoles et tout ce qu’elles ont enduré de la part des langues coloniales qui ont pu s’imposer et résider dans les pays du Sud, du Maghreb, du Levant jusqu’au Pacifique». Et d’ajouter que la langue est d’abord sociale, elle est pouvoir, elle peut être soumission et rendue soumission par l’injonction de l’Histoire. Pour l’universitaire et écrivain Fouad Laroui, le dilemme pour beaucoup d’écrivains migrants est d’être soi-même et ne pas être publié ou jouer un rôle et devenir un autre. ***************** Témoignages pendant les dédicaces Ibrahim Nasrallah (Jordanie) «Je suis fier de participer à cet événement qui est l’une des manifestations très rares sur les littératures itinérantes où il y a une démocratie de la culture qui va vers l’autre et dans différentes villes. Je constate, aussi, la grande adhésion du large public pour la rencontre des écrivains et la dédicace des livres. Cette activité, en parallèle, des tables rondes, représente un enracinement et un approfondissement de l'idée, puis même au niveau de la relation entre les auteurs, à travers un échange particulier qui nous rapproche plus les uns des autres. Sans oublier, également, le livre de chaque édition portant sa thématique qui se trouvera un peu partout l’année d’après et ainsi de suite. C’est très important cette diffusion de la culture et ce dialogue continu, qui permettent à la voix de l’écrivain et du penseur d’être toujours présente.» Abdelkader Chaoui (Maroc) «L’idée de ces Littératures itinérantes a été proposée par Nadia Essalmi qui a présenté au début les écrivains Yasmine Chami, Mahi Bine Bine, Driss El Yazami et moi-même. C’est comme ça qu’il y a eu la première rencontre à Salé qui a été un grand succès. D'abord, c’était une nouvelle idée, puis le bel espace de la Marina. Cet engouement du public m’avait rappelé les grands salons d'Europe. Il y a eu même une bonne recette au niveau des ventes. D’une édition à l’autre, je suis de plus en plus convaincu que si cet événement se déroule plusieurs fois par an, il pourra avoir un impact sur la lecture et la vente des livres chez nous. Il y a, aussi, l’idée que cette Association devienne un jour une Fondation à but non lucratif.» Ivan Jablonka (France) «Rassembler tous ces pays dans un même événement est très important, d’abord sur le plan de l’amitié, puis la communication, la transmission des idées et des langues. Les Marocains savent bien que le français a été pour longtemps une langue imposée, une langue arrogante, parfois pleine de dureté et de discrimination, d’inégalité aussi, avec l’idée que certaines cultures étaient supérieures à d’autres. L’histoire a voulu que cette période soit complètement derrière nous. Donc, ce genre de festival de littératures itinérantes incarne un nouveau moment de la réflexion, parce que le français est désormais une langue qui est en train de devenir minoritaire et se retrouve à égalité avec l’arabe. C’est un juste retour pour des choses que cette initiative incarne et entérine. Je suis aussi sensible au mot itinérant parce que cela veut dire que ce festival refuse l’enracinement qui est la mort. C’est que la littérature, les langues et les idées bougent et sont intrinsèquement déracinées. En tant qu’intellectuel, je me reconnais complètement dedans, en tant que Français et en tant que juif. Cela fait partie d’une conception de la vie intellectuelle dans laquelle je me reconnais. Cette question de mobilité a été montrée par la thématique de cette édition. Donc, on est pluriel et on a une pluralité de déracinement, de culture, de langue, de mots, de famille et peut-être même de religion.»